En ce dimanche ensoleillé, journée officielle du patrimoine, j’ai décidé de m’imprégner davantage de la culture polynésienne et de redécouvrir une activité très populaire jadis : la confection de tapa.
Si vous l’ignorez encore, le tapa est une étoffe végétale créée à partir d’écorce. En Mélanésie, il est généralement travaillé par les hommes, tandis qu’ici, en Polynésie, il est de coutume que ce soient les femmes qui le conçoivent. Elément incontournable de l’artisanat maohi, le tapa est particulièrement prisé lors du Heiva et des cérémonies culturelles.
Outre ces événements folkloriques, le tapa peine à s’affranchir du cadre touristique auquel il est confiné. En effet, autrefois, le tapa n’était pas l’exception mais la règle : l’étoffe accompagnait le polynésien du berceau au cercueil, servant de couverture au nouveau-né, d’étoffe pour se vêtir en toute occasion et de linceul une fois la mort venue. L’arrivée des missionnaires au XVIIIe siècle et l’occidentalisation dans sa globalité ont changé la donne et ont contribué à rendre son usage caduc.
C’est précisément ce à quoi servent les journées du patrimoine, à rendre hommage et à faire vivre un ensemble de mœurs, de pratiques, de coutumes désuets ou non, qui constituent partie intégrante de ce que l’on appelle communément culture. Aussi, c’est pleine d’entrain et avec la ferme intention de mettre à profit mes compétences manuelles que je me suis rendue au Musée de Tahiti et ses Îles.
Après une brève exploration des lieux, nous sommes conviés dans les jardins afin de découvrir les diverses activités proposées.
L’événement étant gratuit par essence, les places sont limitées, c’est pourquoi je vous conseille de vous lever de bonne heure afin de vous inscrire aux ateliers dès votre arrivée.
Une fois installée sur mon « peue » face à mon enclume, je suis toute ouïe, prête à recevoir les directives de notre professeur du jour. L’une des premières choses qu’il faut savoir en matière de tapa est que l’on ne peut faire feu de tout bois…
En effet, si l’écorce de « uru » (l’arbre à pain) s’avère être une alternative convenable ; il n’en va malheureusement pas de même pour les autres arbres.
On leur préfère le « ‘ōrā », le banian en français, qui délivre une sève blanche laiteuse souvent employée en « ra’au tahiti ». Sacré, son écorce servait par le passé exclusivement à recouvrir les grandes idoles des « marae » ou à vêtir les personnages importants.
Par ailleurs, pour vos soirées Trivial Pursuit, sachez que le reo maohi puise son inspiration dans de nombreuses métaphores, il est par exemple remarquable de constater que le terme « ‘ōrā » désigne tout aussi bien l’arbre en lui-même qu’un discours complexe, en référence à la multitude de racines aériennes du banian. Racines qui sont donc prisées dans l’artisanat local.
En revanche, aujourd’hui le tapa est généralement conçu à partir de « aute », le mûrier à papier, qui était auparavant cultivé dans ce dessein.
Les bois se trouvent être plus ou moins difficiles à travailler, il faut préférer les zones humides, de manière à ce que l’écorce soit imbibée
d’eau et puisse se détacher plus aisément.
Aujourd’hui, c’est le centre culturel et artistique ‘Arioi qui prête généreusement le matériel et fournit le bois.
La première étape, celle du lissage, consiste à se saisir du bois et à en retirer l’écorce à l’aide d’un petit coquillage ou d’une coquille de moule jusqu’à atteindre la couche blanche, sans toutefois en détériorer la qualité. L’usage du couteau est proscrit dans la mesure où cette tâche est affaire de méticulosité et de patience, il faut veiller à rester en superficie, à contourner les nœuds de la branche et à ne pas créer d’aspérités.
Intervient ensuite l’étape ardue dite de la fente et de l’écorçage, qui consiste à détacher progressivement le liber (cette pellicule blanche située entre la partie dure du bois et l’écorce).
Il s’agit d’opérer une légère incision, de glisser la lame du coquillage dans la longueur et de répéter cette étape jusqu’à ce que le liber soit intégralement détaché du bois.
Pour fabriquer un tapa au format A4, il est nécessaire de laisser tremper le liber environ une semaine dans l’eau douce afin de l’assouplir.
Or, dans la mesure où le temps est contre nous, nous n’imbiberons le nôtre que quelques minutes.
Le prochain procédé consiste à battre l’écorce afin de créer le tapa à proprement dit.
Pour cela, on utilise une enclume arrondie de préférence, en bois dur – « tutuä » – et un battoir – « ‘I’e » – en bois,
doté de quatre faces recouvertes de rainures de diverses épaisseurs, plus ou moins profondes.
Ces stries de différentes tailles interviennent toutes au cours du processus. Aussi, on nomme cette action de battre le tapa « tutuha’a ».
Assise en tailleur devant mon enclume, je m’astreins à cette tâche avec application ; l’idée étant d’être appliqué et régulier, de faire preuve de patience, de force et d’endurance car pour obtenir un tapa d’une longueur de 50 à 60cm, il faut compter 1h30 de travail au minimum. Il ne suffit pas de taper avec ardeur sur l’écorce, il faut veiller à conserver la même intensité sans négliger les extrémités qui permettent au tapa de s’étendre et de prendre de l’ampleur. Il ne faut pas hésiter à humidifier légèrement l’écorce afin de la ramollir et de pouvoir ainsi mieux la travailler.
On peut ensuite combler les petits trous formés par les nœuds naturels du bois en rajoutant de la matière. Une fois les détails travaillés avec les stries les plus fines du battoir, le tapa se doit d’être lisse et fin. Intervient enfin l’étape du séchage, il est préférable de l’étendre au soleil en disposant un poids également réparti sur toute la longueur afin qu’il ne gondole pas.
L’on peut ensuite peindre le tapa à l’aide d’une encre naturelle mais ça, ce sera pour un autre article…