En Polynésie, on excelle dans la préparation (et la dégustation) du Maita’i mais on ne peut pas en dire autant de la fabrication du rhum artisanal… C’est de ce constat qu’est né Mana’o.
Contrairement aux Caraïbes, la canne à sucre n’est que très peu consommée dans nos îles et très peu d’usines pouvaient, jusqu’à présent, se targuer de produire un rhum de qualité.
Mana’o Tahiti est donc le projet ambitieux d’un groupe d’amateurs de spiritueux. Durant six ans, ils se sont évertués à rechercher et répertorier les différentes variétés de cannes à sucre dans l’idée de relancer une culture à partir de rien. Avec labeur et minutie, ils sont parvenus à créer une marque à leur image qui valorise la matière première.
D’ailleurs, en reo Tahiti, Mana’o signifie « penser/se souvenir », comme pour mieux se rappeler cette hégémonie de la canne à sucre locale.
Beaucoup l’ignorent mais la canne à sucre est originaire du Pacifique. Importées par les grands navigateurs à bord de leurs pirogues traditionnelles vers l’an 300, de nombreuses espèces parviennent à s’acclimater sans mal dans nos îles. Les Polynésiens apprécient son goût sucré et l’utilisent notamment en guise de ra’au tahiti.
Cependant, ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la canne se fera connaître du monde entier. Louis-Antoine de Bougainville et James Cook la découvrent au cours de leurs expéditions et l’implantent alors sur tous les continents.
Aussi, si à l’évocation de « canne à sucre », vous pensez instantanément aux Caraïbes, dites-vous que la première variété à y avoir été implantée vient de Polynésie et porte le doux nom de Otahiti. Considérée comme la meilleure au monde, elle sera cultivée en masse au cours du XIXe siècle avant de se voir remplacée par des variétés hybrides.
Grâce au taux d’ensoleillement annuel et au climat tropical de la Polynésie, nos cannes ont traversé les siècles. Aujourd’hui, on en trouve encore sur les hauteurs de Tahiti ou dans les vallées de Taha’a.
C’est dans la fraîcheur du plateau de Toahotu, à la presqu’île, qu’ont été plantées les premières cannes Mana’o, loin de l’agriculture intensive, pour permettre de mener à bien ce projet d’agriculture biologique. Par la suite, les champs se sont développés du côté de la vallée de Tiva, à l’Ouest de Taha’a, l’île Vanille.
L’équipe a pu compter sur le savoir-faire et l’alambic de la société Avatea, située dans la commune de Paea, à Tahiti, pour démarrer son entreprise.
Dans un premier temps, les cannes sont récoltées à la main. Elles sont coupées en matinée, lorsque les températures sont plus clémentes, et transportées vers l’usine de Taha’a.
Ensuite, elles sont sélectionnées et taillées avant d’être broyées en une seule fois. Le jus filtré est alors stocké en cuve.
Vient ensuite l’étape de la fermentation. On incorpore une levure biologique au jus de canne, de façon à débuter la transformation des sucres en alcool. Le jus d’une teneur en sucre de 15% devient alors un vin de canne à 8°. Il faut tenir compte des différents paramètres, le processus de fermentation prend, par exemple, plus de temps en décembre, lorsque les cannes sont très sucrées et qu’il fait chaud. La chaleur empêche les levures de travailler correctement et il faut compter environ une semaine, là où trois jours suffiraient en temps normal.
Habituellement, les cuves sont transportées en goélette vers Tahiti. Néanmoins, lorsqu’ils se livrent à quelques expérimentations, le vin est distillé directement à Taha’a, dans un alambic Holstein traditionnel.
La colonne de distillation est la méthode la plus utilisée dans le monde du rhum. On y incorpore de la vapeur d’eau par le bas tandis qu’on ajoute le jus fermenté par le haut. En montant, la vapeur va faire évaporer l’alcool que l’on récupère au sommet de la colonne. On appelle cela la « distillation continue ».
Avec ce type d’alambic, on obtient un alcool à 25° environ. Il est alors nécessaire de répéter l’opération plusieurs fois afin d’avoir un volume assez important qu’on va distiller une seconde fois jusqu’à obtenir un alcool à 70°.
La distillerie de Tahiti dispose d’un alambic plus sophistiqué qui comporte cinq chapiteaux superposés. L’alcool monte alors dans le second chapiteau où il se recondense puis redescend dans le premier chapiteau où il se charge en énergie et s’évapore à nouveau tandis que l’eau s’accumule dans le premier chapiteau. A l’issue du processus, c’est comme si le jus avait été distillé cinq fois. A la sortie de l’alambic, on conserve le cœur de chauffe, un alcool à 89°.
Ce distillat est ensuite envoyé à Rangiroa où il vieillira lentement dans des fûts de chêne afin de conserver tous ses arômes. Après trois mois, lorsqu’un doux parfum de rhum se dégage des tonneaux, la teneur en alcool avoisine toujours les 89°. Il est nécessaire de réémulsionner le tout durant 90 jours. L’idée est d’ajouter une petite dose d’eau quotidiennement afin que la teneur en alcool descende à 65°. Ce long processus permet aux cuves s’imprégner de ce goût boisé durant neuf mois à un an, c’est ainsi qu’on obtient le rhum paille.
Aujourd’hui, Mana’o exploite différentes variétés de canne à sucre, récoltées sur plusieurs parcelles à des périodes différentes et stockées dans des fûts spécifiques. C’est ce qui leur permet de proposer différents types de rhum à la vente tels le rhum blanc à 50°, celui de Rangiroa à 48.5° ou encore le rhum paille à 43°. Si vous avez déjà l’opportunité d’écouter cette histoire au cours d’une excursion à Taha’a, vous pourrez prochainement assister au procédé de fabrication puisque la marque prévoit d’implanter sa propre distillerie sur l’île Vanille.