Avec ses couleurs chatoyantes, ses tiare bigarrés, ses finitions travaillées et son allure toute polynésienne, le tīfaifai égaye nos fare. En couvre-lit, en édredon, en nappe ou en tenture, il est aujourd’hui devenu indispensable à notre quotidien.
Bien plus qu’un simple drap coloré, il porte en lui un pan de notre Histoire et nous accompagne à chaque étape de notre vie.
En sillonnant les étals du marché, en vous rendant au dernier salon de l’artisanat ou simplement en allant « boire café » chez une amie, vous l’avez sans doute déjà remarqué. Difficile de passer à côté, bien qu’elle fasse tapisserie, l’étoffe n’est vraiment du genre à passer inaperçue… Et pourtant, sans doute ignoriez-vous tout de ses origines et de sa signification.
Si on en décelait déjà les prémices en Orient il y a plusieurs siècles, le tīfaifai s’inspire en vérité des kilts écossais, qui étaient à l’origine travaillés en patchwork. C’est vraisemblablement au XVIIIe siècle, avec l’arrivée des protestants anglais, qu’il se répand en Océanie et sur le nouveau continent. Les femmes de missionnaires entreprirent de transmettre leur savoir aux compagnes des ari’i dans un premier temps, afin de confectionner des couvre-lits. Si l’engouement est immédiat, c’est sans nul doute parce qu’il permet au peuple Maohi de gagner un temps considérable.
Jusqu’alors, les femmes confectionnaient leurs tenues en tapa, à partir d’écorce d’arbre battue. Le patchwork leur est apparu comme une véritable aubaine. Il leur permettait, en dépit de leur insularité, de créer à partir de rien, de confectionner des parures à partir de vieux draps, de chutes de tissus et de vêtements rapiécés, ce qui représentait une véritable économie en termes de troc et de temps.
Par ailleurs, ce passe-temps a permis aux Polynésiennes de nourrir une véritable passion tout en développant leur créativité. Cette valorisation de la nature et des motifs locaux existait déjà aux temps anciens mais se trouvait quelque peu bridée par la technicité qu’exigeait le travail du végétal. Progressivement, le patchwork est devenu un loisir, un artisanat, voire même une forme d’expression artistique. Les vahine se le sont approprié et lui ont donné une fonctionnalité nouvelle. A l’instar d’une nature morte, l’ouvrage fige dans le temps cette végétation luxuriante si représentative des îles. Les draps se parent d’hibiscus, de uru, d’oiseaux de paradis, de tipaniers, comme pour glorifier l’abondance et revenir à l’état de nature dans cette civilisation bouleversée par l’Occidentalisation.
C’est ainsi qu’est né le tīfaifai, du mélange des cultures, de la valorisation identitaire au travers de l’appropriation d’une technique anglo-saxonne. Le Tīfaifai tire son nom du reo tahiti « tīfai » qui signifie rapiécer, raccommoder.
Au fil du temps, les techniques ont évolué et les artisanes ont imposé leur propre style. Aujourd’hui encore, les māmā cousent leur ouvrage à la main et transmettent leur savoir-faire de mère en fille. Les îles Australes notamment veillent à perpétuer la tradition et à proposer des pièces d’une grande qualité. Aussi, un couvre-lit nécessite parfois l’intervention simultanée de trois femmes et une centaine d’heures de travail. La réalisation passe par quatre étapes déterminantes : le dessin, la découpe des motifs, le surfilage et la couture qui requièrent patience et dextérité.
Parmi les modèles phares, on retrouve :
Si la dimension ornementale est non négligeable, il n’en faut pas oublier la place du tīfaifai dans la coutume polynésienne. Il accompagne les moments forts de la vie, certains se transmettent de génération en génération, d’autres sont spécialement créés à l’occasion d’une naissance ou d’un rite de passage. Le tīfaifai sert aujourd’hui encore parfois de linceul, il accompagne l’individu du berceau au cercueil.
C’est précisément parce qu’il résiste bien à l’épreuve du temps qu’on choisit de l’offrir en souvenir. Lorsqu’un Polynésien quitte son fenua, c’est rarement sans son couvre-lit. Son caractère identitaire lui permet de conserver un lien avec son île, de se souvenir des doux moments passés en famille. Fraîchement arrivé en métropole, on aime à l’accrocher au mur pour redonner un peu de chaleur à la morosité hivernale.
C’est toutefois lors du mariage qu’il joue son plus grand rôle. Une fois l’union célébrée, les mariés son enveloppés dans un même tīfaifai comme pour mieux sceller leur alliance et assurer leur descendance.
L’industrialisation a quelque peu altéré la tradition aujourd’hui. L’artisanat se voit menacé par la machine à coudre et les māmā doivent désormais rivaliser avec les manufactures asiatiques qui proposent une main d’œuvre à moindre coût.
Or, si très peu de personnes en vivent aujourd’hui pleinement, l’enjeu économique n’en demeure pas moins important puisqu’on estime que la confection manuelle représente un complément de revenu essentiel à près de 8 000 personnes.
***
Si le tīfaifai peut paraître onéreux, prenez soin de lire entre les points le témoignage historique qu’il vous livre. Contrairement aux magnets, il pourrait bien vous laisser un souvenir impérissable de cette Polynésie que vous chérissez tant.